DES EXPOSITIONS FANTOMES / GHOST EXHIBITIONS

 

LA RESISTANCE CULTURELLE EST PLUS QUE JAMAIS NECESSAIRE !

 

Nous sommes confits donc. L’heure est propice à l’introspection (pour les pressés : en fin de texte, vous avez les infos pratiques).

Pendant longtemps, je me suis intéressé à la science-fiction comme à un art du kitsch, avec distance. Mon rationalisme provoquait un peu d’ironie par rapport à ces projections fantasmées : je trouvais cela très peu scientifique, drôle et pas spécialement onirique. Seul Philip K Dick avec sa paranoïa grandiose passant d’un univers à un autre me fascinait : oui, le réel n’est que notre perception et notre acceptation de ce que nous jugeons comme étant réel. La démarche scientifique –qui reste le seul lien entre des humains si écartelés dans leurs convictions– s’accompagne ainsi d’un caractère évolutif et critique.

Alors, pour la première fois aujourd’hui, je suis entré dans la science-fiction. Au cours de ma vie, je suis allé sur tous les continents, ai vécu des situations pouvant relever du romanesque, ai vu ce que la guerre pouvait être ou les régimes autoritaires. L’ordre sanitaire en marche est d’une autre nature. NOUS SOMMES ENTRES DANS LA SCIENCE-FICTION. Nous vivons l’inédit : ce que j’ai appelé les « sociétés du contrôle » et le « grand hôpital planétaire ». Et cela s’est fait aussi vite que la déclaration de guerre en 1914 : un enchaînement incontrôlé qui fait basculer dans un nouvel état –qu’on l’approuve ou le désapprouve.

Dans cette situation, Nuage Vert – musée mobile Vallée de la Dordogne a appelé dès mars 2020 lors du premier confinement en France à la Résistance culturelle, faisant immédiatement des vidéos en ligne sur l’expo « Boris Vian, de la ‘Pataphysique à la science-fiction » et sur l’histoire de l’écologie. Dès le déconfinement, le 16 mai s’ouvrait « MONTRER L’INVISIBLE. Ca ressemble à quoi un virus ? » avec édition d’un livre, manière d’apporter des pièces précieuses visuelles sur les virus et des réflexions de fond. Aujourd’hui, nous lançons une exposition et un livre sur un sujet tabou, la mort : « PORCELAINES DE LA MORT. Dans les cimetières du Limousin à la Chine par André Chabot ». Un livre (disponible par carte bancaire sur lulu.com) l’accompagne, célébrant l’œuvre d’une vie, celle d’André Chabot dans les cimetières de la planète, et offrant des textes inédits de lui, de l’écrivain belge André Stas et de Marc-Olivier Gonseth, qui dirigea l’innovant musée d’ethnographie de Neuchâtel.

Cette résistance doit en effet se poursuivre. Peut-être les « petites » institutions peuvent y trouver souplesse, rapidité, originalité. Dans notre monde de l’ubiquité locale-globale où nous vivons ici avec les visions incessantes de l’ailleurs sur écran interposé, faire une exposition est devenu un prétexte à visites virtuelles, à vidéos diverses, à jeux, produits dérivés et aussi toujours à livres. Le musée se confond par endroit avec des lieux de spectacles comme ces projections spectaculaires où l’art devient juste prétexte à « show ».

Mais, pour les institutions traditionnelles, comme les fermetures frappent, rôdent et rôderont, la « vraie » visite risque aussi de devenir superfétatoire et les lieux des prétextes à produits diffusés : pas de local en présentiel et pas de vision directe. C’est alors probablement le moment de défendre l’importance des collections, des pièces réelles, leur pouvoir d’évocation, soit en expliquant à distance, soit avec des visites sur rendez-vous pour peu de personnes. Des pratiques qualitatives feront ainsi  comprendre l’émotion particulière du contact avec l’oeuvre ou l’objet unique. Même des multiples (photos, affiches…) deviennent d’ailleurs uniques dans leur matérialité et peuvent créer la fascination. C’est là où la fonction du musée –celle de montrer de « vraies » pièces rares– va reprendre tout son prix, quand tout bascule dans le virtuel.

Continuons donc à organiser des expositions fantômes comme actes de résistance et manière de promouvoir le rare, le précieux, qui n’est pas juste la Joconde mais peut être un tissu du quotidien qui a une histoire. LES OBJETS PARLENT. Des reliques ? En tout cas des traces physiques qui signifient. Et les musées ne sont plus juste des coffres-forts à patrimoine, ils sont des médias (les « musédias ») qui nous donnent des outils pour comprendre le monde, avoir des repères, et construire sa joie de trouver « beau » telle ou telle chose, pas juste sur écran en zapping, dans sa MATERIALITE. Belle perspective à la fois civique et marque d’une place singulière dans les industries du divertissement.

 

L’heure est aux expos fantômes ? Ouvrons-les, persévérons, et saisissons qu’elles peuvent être le moyen de comprendre le précieux.

 

ALORS LES INFOS PRATIQUES (imposées par les circonstances) :

 

  • Samedi 31 octobre à 11h, pas d’ouverture publique de l’exposition « PORCELAINES DE LA MORT. Dans les cimetières du Limousin à la Chine par André Chabot». Vidéos à venir et le livre est achetable par carte bancaire (livré chez vous) sur lulu.com. Ouverture le 5 décembre 14h

 

  • 7-8 novembre, suppression des animations avec les Croqueurs de pommes. Exposition «AU SECOURS ! Pommes et autres fruits oubliés» visible à nouveau à partir du 1er décembre. Vidéos à venir.

 

  • Samedi 21 novembre, suppression de la journée du cycle sur la « déformation médiatique » avec Pauline Vergne le matin et Michel Pierre l’après-midi sur l’affaire Seznec. Reporté si possible

 

  • Si le déconfinement a bien lieu le 1er décembre, nous reprenons nos activités publiques en présence physique le samedi 5 décembre après-midi avec les croqueurs et croqueuses de pommes et vous découvrirez l’exposition Chabot

 

LA RESISTANCE CULTURELLE EST PLUS QUE JAMAIS NECESSAIRE

car c’est cela qui fait lien dans nos sociétés tellement fracturées qu’une épidémie vient atomiser

 

 

Laurent Gervereau