Guy Bodson le 8 octobre 2022 lors de l’inauguration de son exposition rétrospective à Nuage Vert
Guy Bodson est décédé le 21 juillet 2024 (juste après le dixième anniversaire des Rencontres-Promenades « Histoires de Passages ») à l’hôpital Ambroise Paré, après avoir été retrouvé par terre, seul, dans son appartement-atelier de Boulogne. Personne ne le réclama. J’entrepris des recherches, n’ayant plus de nouvelles depuis ma visite du 2 avril 2024 et l’envoi par la poste dans le mois qui suivit de sa dernière œuvre UBU AUX ORAGES. Son corps était en attente, non réclamé, congelé, à la morgue de l’hôpital. In extremis, je pus organiser un enterrement.
Guy Antoine Bodson est né le 25 janvier 1936, déclaré par sa mère d’origine belge « qui l’a reconnu » dans le 14e arrondissement de Paris. Son père, d’origine italienne, ne cherchera jamais à le connaître. Sa vie est une suite de disparitions, dont celle de sa mère qui l’abandonne pendant la guerre pour aller travailler en Allemagne. Il est alors placé chez une personne à Arnouville-lès-Gonesse entre l’aéroport du Bourget sans cesse bombardé (des obus tombent dans le jardin) et Drancy. Le bombardement deviendra un thème récurrent de son oeuvre. Il est placé ensuite par l’Assistance publique en Normandie et sa mère vient le récupérer après-guerre pour vivre avec ses deux demi-sœurs.
Guy Bodson est un personnage singulier, sans descendance, sans compagne ou compagnon, côtoyant quelques artistes mais à distance de tout, dans une sorte d’adelphisme jarryen. Totalement solitaire. Je l’ai connu en 1975 lors de son exposition post-situationniste avec Roger Langlais au théâtre du Ranelagh (contre la militarisation de la société avec Totalitarismes égalitaires –Hitler et Staline—qui fit scandale). Avec lui, nous avons ensuite exclu tous les membres du salon de la Jeune Peinture avant de créer les 13 numéros de la revue pataphysico-situationniste Aux Poubelles de la Gloire (1977-1979).
Rembobinons. Dès la Deuxième Guerre mondiale, il dessine, puis fait les arts appliqués dans les années 1950 et travaille chez Hispano-Suiza puis Renault à Billancourt comme dessinateur industriel. Surtout il consacre sa vie entière aux activités artistiques, se mêlant aux avant-gardes après-guerre et se rapprochant des surréalistes avec la revue Fragile en 1959, qu’il réalise avec Bernard Pêcheur. En 1961, il expose dans le groupe surréaliste à la galerie Schwarz pour la Mostra Internazionale del Surrealismo. Il fait partie de la Fédération anarchiste et correspond avec Guy Debord en 1965 pour faire scission dans la FA et se rapprocher des situationnistes (sans être membre de l’IS), puis entre au Collège de ‘Pataphysique (comme Asger Jorn qui est co-fondateur de l’Internationale Situationniste, tout en faisant partie du Collège de ‘Pataphysique que lui avait fait connaître son ami Noël Arnaud).
La vie de Guy Bodson est ainsi très riche en créations et en rencontres. Après Aux poubelles de la Gloire des années 1970, il y aura dans nos connivences Les Peintres d’histoire à partir de 1988 avec Louis Rollinde (19 numéros bilingues jusqu’en 1996), annonçant puis accompagnant le retour du sens dans l’art après l’ouverture du mur de Berlin avec des œuvres sur la vie quotidienne et l’actualité. Tout cela apparut dans sa seule rétrospective en 2022, qu’il est venu inaugurer à Nuage Vert (nuage-vert.com) : GUY BODSON SITUATIONNISTE ET PATAPHYSICIEN ou la joie de détourner l’Art. Cette exposition a été permise par la donation à Nuage Vert de son œuvre en plusieurs déménagements de son appartement-atelier de Boulogne et de sa maison des Charentes. Avec la collaboration chaleureuse de Nicolas Surlapierre, j’ai pu laisser à cette occasion un ouvrage très complet (achetable sur lulu.com) pour lequel il avait –événement– donné des pièces biographiques, dont Guy m’a dit au téléphone ensuite de sa voix voilée pour la première fois de sa vie : « C’est bien ».
Son œuvre est ainsi préservée et rassemblée à Nuage Vert. Elle est extrêmement riche et explore tous les styles entre le temps surréaliste, les œuvres situationnistes en relief anti-guerre au moment notamment du Vietnam et la reprise détournée de toute l’histoire de l’art jusqu’à Alfred Jarry, la ‘Pataphysique, Raymond Queneau ou les collages et les échanges avec Villeglé. Marcel Fleiss l’a exposé au MAMCO et a défendu son œuvre. En 2022, sa dernière exposition thématique majeure a présenté à l’Usine à Paris en 2022 des Autoportraits robotisés au pochoir. Evoquer Bodson, c’est donc considérer plus de 70 ans de productions artistiques les plus diverses possibles pour détourner toute interprétation, tout classement, tout résumé dans une dérision qu’un Francis Picabia n’aurait pas renié, tout en étant constant dans ses rejets.
Oui, Guy Bodson a réussi à toujours s’échapper de tout groupe, de toute vie affective, de toute notoriété. Un punk habillé en anonyme. Plusieurs peintures s’intitulent Etre rien. A l’heure du marketing incessant, de la vente de soi, de la biographie nombriliste sans cesse exposée sur tous les réseaux, Guy Bodson INEXISTE, non-identifié. Il n’est pas. Trou noir de l’art. Guy Bodson est ainsi doublement disparu, une première fois par occultation médiatique volontaire (son apparence), une seconde fois matériellement (sa destruction physique).
Laurent Gervereau